La portée du discours des femmes dans la Caraïbe par Myriam MOÏSE

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  • Опубликовано: 14 окт 2024
  • La portée du discours des femmes dans la région caraïbe.
    Souvent laissée en marge de l’Histoire, les femmes afro-caribéennes ont longtemps été dévalorisées, ignorées, ou effacées des discours hégémoniques et patriarcaux. Ce déni et cette incapacité à entendre les voix des femmes de la région sont constamment dénoncés dans les travaux des théoriciennes féministes caribéennes. Dans son ouvrage Moving Beyond Boundaries, la féministe trinidadienne Carole Boyce-Davies contribue à faire ressurgir les voix de femmes caribéennes hors du silence imposé et hors de la dévalorisation de leur écriture comme si elle s’apparentait à du « non-parlé, non-dit, non-existant, déformé, incompris ou effacé».
    En 1990, l’ouvrage fondateur pour la littérature des femmes de la Caraïbe, Out of the Kumbla, définissait l'absence de voix féminine comme double : d'une part, l'absence de voix comme « absence historique du texte de la femme écrivain c’est à dire l'absence d'une position spécifiquement féminine sur des questions telles que l'esclavage, le colonialisme, la décolonisation, les droits des femmes et sur des questions sociales et culturelles plus directes », et d’autre part, l'absence de voix comme « le silence c’est-à-dire l'incapacité à exprimer une position ainsi que la construction de la femme comme silencieuse dans certains textes ».
    Dans la Caraïbe anglophone, les femmes ont longtemps été exclues des discours dominants et ont eu du mal à imposer leurs voix et à développer leur « agentivité » (du terme anglais « agency »), c’est-à-dire leur capacité à agir et à renverser les rapports de pouvoir. Au début des années 30, les écrivains caribéens eux-mêmes, par exemple le Jamaïcain Claude McKay et le Trinidadien Alfred Mendes dans leurs romans respectifs Banana Bottom et Black Fauns ont contribué à cette absence d'agentivité car ils ont souvent disqualifié ou déprécié les voix de leurs homologues féminines en les qualifiant de simples bavardages ou commérages. Pourtant, la fin des années 80 a vu l’émergence des productions intellectuelles des femmes de la Caraïbe et l'absence de points de vue féminins n'est aujourd’hui plus d'actualité en ce qui concerne les productions littéraires dans la Caraïbe anglophone. Celle-ci regorge en effet d’écrivaines contemporaines talentueuses et reconnues chez elles et dans la diaspora: Jamaica Kincaid, Merle Hodge, Olive Senior, Dionne Brand, Merle Collins, Grace Nichols, Erna Brodber, Opal Palmer Adisa, Paule Marshall, Lorna Goodison, Nalo Hopkinson, Makeda Silvera, parmi tant d’autres. S’agissant du pouvoir politique, nombreuses sont les femmes caribéennes anglophones qui ont marqué et continuent à marquer la région par leur agentivité et leur leadership politique, de la Dame de fer caribéenne Mary Eugenia Charles, Première Ministre de la Dominique de 1980 à 1995 à l’Honorable Mia Amor Mottley, l’actuelle Première Ministre de la Barbade.
    Les femmes de la Caraïbe française ont en revanche une histoire bien différente et il semble qu'elles aspirent encore aujourd’hui à se positionner et à affirmer leurs voix, en particulier dans les cercles intellectuels et politiques. Dans le contexte martiniquais par exemple, dominés par les hommes, les milieux intellectuels ont vu l’émergence d’écrivains et théoriciens majeurs (Aimé Césaire, Frantz Fanon, Édouard Glissant, et les trois auteurs de l’Éloge de la Créolité Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant). Les textes produits par les femmes ont été vraisemblablement éclipsés ou sous-estimés par ces penseurs et écrivains dominants qui ont eu en effet tendance à affirmer leur identité nègre ou leur créolité au détriment des voix de leurs compatriotes féminines et de la question du genre.
    Contrairement à leurs homologues caribéennes anglophones et afro-américaines, les Caribéennes françaises semblent également avoir développé une forme de complicité et de solidarité relativement ambigües avec ‘leurs’ hommes, ce qui semble les avoir empêchées de faire entendre leurs voix publiquement et pleinement. Les écrivaines Martiniquaises en particulier ont vu leur espace d’expression s’amoindrir car délimité par leurs confrères et contraint par les dictats du mythe de la femme « poto mitan ».

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