TEXTES : « Objet d’envie pour ceux qui n’en jouissent pas, la démocratie ne représente plus qu’une évidence pour ceux qui, comme nous, ont appris à apprécier le confort de ses faux-semblants. [...] En même temps, chacun sait que l’hommage que son nom rend au peuple souverain - le dêmos - a peu à voir avec la machinerie de ses procédures. » Guy Hermet (1997), La démocratie, p. 7. « On a dit que l'enseignement de la constitution de chaque pays devait y faire partie de l'instruction nationale. Cela est vrai, sans doute, si on en parle comme d'un fait […]. Mais si on entend qu'il faut l'enseigner comme une doctrine conforme aux principes de la raison universelle, ou exciter en sa faveur un aveugle enthousiasme qui rende les citoyens incapables de la juger ; si on leur dit : Voilà ce que vous devez adorer et croire, alors c'est une espèce de religion politique que l'on veut créer ; c'est une chaîne que l'on prépare aux esprits, et on viole la liberté dans ses droits les plus sacrés, sous prétexte d'apprendre à la chérir. [...] Il ne s'agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacune devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison. […] le droit est le même, le motif est semblable ; et permettre d'éblouir les hommes au lieu de les éclairer, de les séduire pour la vérité, de la leur donner comme un préjugé, c'est autoriser, c'est consacrer toutes les folies ». Condorcet, Cinq mémoires sur l’instruction publique (1791). p. 42-44. Le régime parlementaire qui naît en Grande Bretagne “répudie plus encore la démocratie directe de la Grèce antique. La hantise toujours présente de la populace n’est pas seule en cause. La doctrine même du libéralisme, telle que l’Anglais John Locke l’énonce en 1690, fonde l’adhésion à tout ensemble politique sur l’association volontaire d’individu liés par l’intérêt, en stipulant bien que ce dernier n’est pas l’intérêt général abstrait puisque ‘‘la fin principale et maîtresse des hommes unis en communauté sous l’égide d’un gouvernement est la préservation de leur propriété’’. Dès lors, il voit mal comment le vaste peuple des démunis se sentirait concerné par cette protection [...]. Il importait, d’autre part, que ce régime fasse barrage de manière ‘‘esthétique’’ mais ferme à l’espoir des petites gens avides de faire entendre enfin leur voix ; cela quand bien même les artisans du gouvernement représentatif n’avaient d’autre argument que de se réclamer du consentement populaire pour cautionner leur autorité. C’est ce double langage qui a introduit les contradictions qui affectent encore nos démocraties. D’un côté, les libéraux ont posé d’emblée, avec Locke et les constituants américains, que toute souveraineté devait reposer sur la volonté du peuple. [...] Mais, de l’autre, leur préoccupation réelle a consisté à préserver des atteintes populaires la république ou la monarchie républicaine qu’ils voulaient réserver à leur usage. C’est dans ce but que le principe de représentation [...] a [...] réglé définitivement le problème de la souveraineté du peuple. Imposé comme modalité exclusive de son exercice à partir du moment où les députés ont décrété qu’ils ne pouvaient recevoir de mandat impératif de la part de leurs électeurs puisqu’ils incarnaient le peuple à eux seuls, ce principe a permis de confisquer le Souverain sans transgresser légalement sa nature indivisible. Tel est le coup d’Etat créateur de la future démocratie représentative orchestré par les parlementaires britanniques des les années 1750, par leurs homologues américains quelques décennies plus tard, puis par les constituants révolutionnaires français. En un tournemain, on est passé de la souveraineté populaire au mythe de la souveraineté nationale, pour déboucher presque aussitôt sur celui de la souveraineté parlementaire. Certes, on feignait de désigner la même chose sous ces expressions différentes. Mais il ne s’agissait que d’enjoliver par l’élection le retour à la rassurante sélection de ceux que le praticien américain John Adams appelait les meilleurs et les plus sages.” Guy Hermet, La démocratie, p. 20-22. MACHIAVEL : « Un Prince doit donc n’avoir point d’autre objet, d’autre pensée, et ne prendre aucune chose à cœur, si ce n’est l’art de la guerre et les règles et disciplines qu’il comporte. C’est le seul art qui intéresse celui qui commande » (Prince, XIV) « Il faut donc convenir que dès qu’on est élevé sur le trône par la faveur du peuple, il est absolument nécessaire de s’en faire aimer, ce qui est extrêmement aisé, car il n’exige rien que de n’être pas opprimé. […] Je me contenterai seulement de répéter cette maxime si nécessaire : il faut qu’un Prince se fasse aimer de son peuple, autrement il n’aura point de remède dans l’adversité. […] Au reste, pour combattre cette maxime, qu’on ne m’allègue point le proverbe vulgaire, que qui bâtit sur la faveur du peuple, bâtit sur la boue. » (Prince, IX). « Car on sait qu’un Prince ne doit craindre que deux choses : l’une à l’intérieure, de la part de ses sujets ; l’autre à l’extérieur, de la part de ses voisins puissants. » (Prince, XIX) « Un Prince qui craint plus ses peuples que les étrangers, doit avoir des forteresses ; mais s’il a lieu d’appréhender plus les étrangers que ses sujets, qu’il n’en ait point. […] La meilleure citadelle qui soit, c’est d’être aimé de son peuple ; si vous ne l’êtes pas, encore que vous ayez des forteresses, vous ne serez pas sauf, car le peuple ne manque pas d’étrangers qui soient prêts à le secourir. […] Ainsi, après de bonnes réflexions, je louerai également ceux qui font des citadelles et ceux qui n’en font pas ; mais je blâmerai tous ceux qui, se fiant à des forteresses, ne feront pas grand cas de la haine des peuples. » (Prince, XX) « Les hommes ont tellement pris l’habitude d’obéir à d’autres hommes, que la liberté est, pour la plupart d’entre eux, le droit de n’être soumis qu’à des maîtres choisis par eux-mêmes. Leurs idées ne vont pas plus loin, et c’est là que s’arrête le faible sentiment de leur indépendance. (…) Presque partout cette demi-liberté est accompagnée d’orages; alors on les attribue à l’abus de la liberté, et l’on ne voit pas qu’ils naissent précisément de ce que la liberté n’est pas entière; on cherche à lui donner de nouvelles chaînes, lorsqu’il faudrait songer, au contraire, à briser celles qui lui restent ». Condorcet, De la nature des pouvoirs politiques dans une nation libre, Œuvres, t. 10, p. 589. Les géopoliticiens sur lesquels je m'appuie sont Gérard Chaliand et Jean-Pierre Rageau et le livre (2012) Géopolitique des empires p. 222-234.
Je cite Rousseau (Du contrat social, Chapitre IV, De la Démocratie) : _À prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable Démocratie, & il n’en existera jamais. Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne & que le petit soit gouverné. On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques, & l’on voit aisément qu’il ne saurait établir pour cela des commissions sans que la forme de l’administration change._ Et il conclut : _S’il y avait un peuple de Dieux, il se gouvernerait Démocratiquement. Un Gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes_
TEXTES :
« Objet d’envie pour ceux qui n’en jouissent pas, la démocratie ne représente plus qu’une évidence pour ceux qui, comme nous, ont appris à apprécier le confort de ses faux-semblants. [...] En même temps, chacun sait que l’hommage que son nom rend au peuple souverain - le dêmos - a peu à voir avec la machinerie de ses procédures. » Guy Hermet (1997), La démocratie, p. 7.
« On a dit que l'enseignement de la constitution de chaque pays devait y faire partie de l'instruction nationale. Cela est vrai, sans doute, si on en parle comme d'un fait […]. Mais si on entend qu'il faut l'enseigner comme une doctrine conforme aux principes de la raison universelle, ou exciter en sa faveur un aveugle enthousiasme qui rende les citoyens incapables de la juger ; si on leur dit : Voilà ce que vous devez adorer et croire, alors c'est une espèce de religion politique que l'on veut créer ; c'est une chaîne que l'on prépare aux esprits, et on viole la liberté dans ses droits les plus sacrés, sous prétexte d'apprendre à la chérir. [...] Il ne s'agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacune devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison. […] le droit est le même, le motif est semblable ; et permettre d'éblouir les hommes au lieu de les éclairer, de les séduire pour la vérité, de la leur donner comme un préjugé, c'est autoriser, c'est consacrer toutes les folies ». Condorcet, Cinq mémoires sur l’instruction publique (1791). p. 42-44.
Le régime parlementaire qui naît en Grande Bretagne “répudie plus encore la démocratie directe de la Grèce antique. La hantise toujours présente de la populace n’est pas seule en cause. La doctrine même du libéralisme, telle que l’Anglais John Locke l’énonce en 1690, fonde l’adhésion à tout ensemble politique sur l’association volontaire d’individu liés par l’intérêt, en stipulant bien que ce dernier n’est pas l’intérêt général abstrait puisque ‘‘la fin principale et maîtresse des hommes unis en communauté sous l’égide d’un gouvernement est la préservation de leur propriété’’. Dès lors, il voit mal comment le vaste peuple des démunis se sentirait concerné par cette protection [...]. Il importait, d’autre part, que ce régime fasse barrage de manière ‘‘esthétique’’ mais ferme à l’espoir des petites gens avides de faire entendre enfin leur voix ; cela quand bien même les artisans du gouvernement représentatif n’avaient d’autre argument que de se réclamer du consentement populaire pour cautionner leur autorité. C’est ce double langage qui a introduit les contradictions qui affectent encore nos démocraties. D’un côté, les libéraux ont posé d’emblée, avec Locke et les constituants américains, que toute souveraineté devait reposer sur la volonté du peuple. [...] Mais, de l’autre, leur préoccupation réelle a consisté à préserver des atteintes populaires la république ou la monarchie républicaine qu’ils voulaient réserver à leur usage. C’est dans ce but que le principe de représentation [...] a [...] réglé définitivement le problème de la souveraineté du peuple. Imposé comme modalité exclusive de son exercice à partir du moment où les députés ont décrété qu’ils ne pouvaient recevoir de mandat impératif de la part de leurs électeurs puisqu’ils incarnaient le peuple à eux seuls, ce principe a permis de confisquer le Souverain sans transgresser légalement sa nature indivisible. Tel est le coup d’Etat créateur de la future démocratie représentative orchestré par les parlementaires britanniques des les années 1750, par leurs homologues américains quelques décennies plus tard, puis par les constituants révolutionnaires français. En un tournemain, on est passé de la souveraineté populaire au mythe de la souveraineté nationale, pour déboucher presque aussitôt sur celui de la souveraineté parlementaire. Certes, on feignait de désigner la même chose sous ces expressions différentes. Mais il ne s’agissait que d’enjoliver par l’élection le retour à la rassurante sélection de ceux que le praticien américain John Adams appelait les meilleurs et les plus sages.” Guy Hermet, La démocratie, p. 20-22.
MACHIAVEL : « Un Prince doit donc n’avoir point d’autre objet, d’autre pensée, et ne prendre aucune chose à cœur, si ce n’est l’art de la guerre et les règles et disciplines qu’il comporte. C’est le seul art qui intéresse celui qui commande » (Prince, XIV)
« Il faut donc convenir que dès qu’on est élevé sur le trône par la faveur du peuple, il est absolument nécessaire de s’en faire aimer, ce qui est extrêmement aisé, car il n’exige rien que de n’être pas opprimé. […] Je me contenterai seulement de répéter cette maxime si nécessaire : il faut qu’un Prince se fasse aimer de son peuple, autrement il n’aura point de remède dans l’adversité. […] Au reste, pour combattre cette maxime, qu’on ne m’allègue point le proverbe vulgaire, que qui bâtit sur la faveur du peuple, bâtit sur la boue. » (Prince, IX).
« Car on sait qu’un Prince ne doit craindre que deux choses : l’une à l’intérieure, de la part de ses sujets ; l’autre à l’extérieur, de la part de ses voisins puissants. » (Prince, XIX)
« Un Prince qui craint plus ses peuples que les étrangers, doit avoir des forteresses ; mais s’il a lieu d’appréhender plus les étrangers que ses sujets, qu’il n’en ait point. […] La meilleure citadelle qui soit, c’est d’être aimé de son peuple ; si vous ne l’êtes pas, encore que vous ayez des forteresses, vous ne serez pas sauf, car le peuple ne manque pas d’étrangers qui soient prêts à le secourir. […] Ainsi, après de bonnes réflexions, je louerai également ceux qui font des citadelles et ceux qui n’en font pas ; mais je blâmerai tous ceux qui, se fiant à des forteresses, ne feront pas grand cas de la haine des peuples. » (Prince, XX)
« Les hommes ont tellement pris l’habitude d’obéir à d’autres hommes, que la liberté est, pour la plupart d’entre eux, le droit de n’être soumis qu’à des maîtres choisis par eux-mêmes. Leurs idées ne vont pas plus loin, et c’est là que s’arrête le faible sentiment de leur indépendance. (…) Presque partout cette demi-liberté est accompagnée d’orages; alors on les attribue à l’abus de la liberté, et l’on ne voit pas qu’ils naissent précisément de ce que la liberté n’est pas entière; on cherche à lui donner de nouvelles chaînes, lorsqu’il faudrait songer, au contraire, à briser celles qui lui restent ». Condorcet, De la nature des pouvoirs politiques dans une nation libre, Œuvres, t. 10, p. 589.
Les géopoliticiens sur lesquels je m'appuie sont Gérard Chaliand et Jean-Pierre Rageau et le livre (2012) Géopolitique des empires p. 222-234.
Tout dépend du réformateur et sa puissance pour avoir les deux en même temps
Je cite Rousseau (Du contrat social, Chapitre IV, De la Démocratie) :
_À prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable Démocratie, & il n’en existera jamais. Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne & que le petit soit gouverné. On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques, & l’on voit aisément qu’il ne saurait établir pour cela des commissions sans que la forme de l’administration change._
Et il conclut :
_S’il y avait un peuple de Dieux, il se gouvernerait Démocratiquement. Un Gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes_