Une magnifique leçon sur Platon où Annick Stevens donne toute la mesure de sa compréhension du philosophe grec. Peut être ajouter à cette leçon de platonisme que dans le fond l’amour c’est ce qu’on n’a pas,ce qu’on n’est pas,ce dont on manque…une réminiscence,comme dirait Platon. Merci,Annick.
Un talent pédagogique et une simplicité exceptionnels ! Un régal que de vous écouter . Beaucoup de profs devraient s'inspirer de votre enseignement . Merci
Bonjour Annick, et, malgré ce contexte politique légèrement glaçant, meilleurs vœux de bonheur à vous pour cette nouvelle année!!! Profitons que nous ayons toujours le droit de nous réjouir!!! Si je comprends bien, la dialectique est cette méthode de l'accès à la connaissance par investigation, construction et déconstruction de l'objet. Mais, au-delà, son moteur, l'étincelle, l'impulsion qui va mettre en branle cette démarche intellectuelle, c'est une pulsion créatrice suscitée par le beau ou par l'amour. J'imagine que ce n'est pas le moteur exclusif, il doit y avoir d'autres ressorts... ? Ou est-ce que Platon tend à vouloir affirmer (à travers le Phèdre et le Banquet) que derrière toutes les motivations conscientes vers l'accès à la connaissance, il réside toujours derrière une inspiration guidée par le beau (« le beau » se rapprochant alors de « le bon »?) ? Egalement, peut-on dire après cela, que cette idée d'inspiration qui pousse vers la connaissance, donne une dimension quelque peu spirituelle ou disons « irrationnelle » à l'ontologie de la connaissance, ainsi définie par Platon ? En vous remerciant
2 года назад+1
Merci pour vos voeux, et autant de ma part! Je ne dirais pas que la dialectique est "construction et déconstruction de l'objet" mais plutôt éclaircissement du sens des concepts (par exemple, que signifie exactement "être" ou "juste", et à quelles réalités ces mots conviennent-ils?) et de leurs relations entre eux (par exemple, "être" va-t-il toujours de pair avec "immobile" ou avec "un", etc.). Vous avez raison de voir une grande importance dans la motivation qui pousse à la recherche de la connaissance: c'est toute la question du "philo-sophein" ("aimer savoir"). Et effectivement le beau, qui en est le moteur, s'étend au delà du domaine esthétique ou moral, jusqu'à la beauté intellectuelle, par exemple la beauté d'un théorème mathématique ou d'une architecture conceptuelle. Du coup, comme vous le dites, la motivation à utiliser la raison ne vient pas de la raison elle-même mais d'un désir, qui apporte un plaisir quand on l'accomplit, et qu'on possède soit par tempérament inné (d'après Platon du moins, qui l'appelle le "naturel philosophe") soit par une éducation qui stimule ce type de désir. Cela rejoint le thème du choix de vie, qui est éthique au sens de la construction de soi. On retombe toujours sur l'importance de l'éducation, et il n'est pas inutile de rappeler que celle-ci est autant donnée par la société tout entière que par le milieu familial et la scolarité. Mes salutations les plus cordiales!
@ Mme Stevens, finalement à la lecture à votre réponse (merci), ma réflexion s'ouvre sur d'autres choses.... J'ai aussi bien envie de solliciter votre lumière encore un peu si vous le voulez bien ! Ca fait un petit pavé de questions, je comprendrais ne vous inquiétez pas si vous n'avez pas la possibilité d'y répondre. « Ce désir de la connaissance qui apporte un plaisir quand on l'accomplit », quel pourrait être son « statut ontologique » ? Ok, son origine est mélangée, il vient pour partie de dispositions naturelles (expliquées donc par le passif des âmes), et pour partie il est acquis par l'éducation qui doit inculquer une certaine éthique. Ok, il est impulsé au fond par l'amour du Beau que je comprend ici sous la forme d'un invariant anthropologique. Mais de quelle entité, de quelle profondeur émane ce désir ? J'imagine que c'est l'âme. Mais alors c'est là que je m'interroge sur ce que contient la notion d'âme chez Platon ? N'est-elle, chez lui, que cette part consciente en nous ? Ou intègre-t-elle l'intelligence inconsciente de notre corps ? La mécanique autonome de notre corps, façonnée par une histoire évolutive et adaptative, qui échappe complètement à l'emprise du contrôle cérébral, Platon la conçoit-elle elle-même comme partie intégrante de l'âme, capable de saisir le Beau indépendamment de la raison? Notre corps, dans son intelligence propre, est-il en mouvement vers le Beau, voire est-il habité par le Beau ?... Ou le concept du Beau n'est-il saisissable que par l'intelligence de la raison ? In fine, y'a-t-il un fondement biologique chez l'homme à utiliser la raison ? Autre question, la figuration du délire créateur comme exaltation suprême de l'amour du Beau... Sans que ce soit formulé ainsi, n'y a-t-il pas là un aveu de modération nécessaire au désir de connaître ou à l'élevation des âmes ? Pour que ce soit le cas, bien sûr, il faudrait que « délire » s'entende, chez Platon, comme propre à une certaine « démesure » (la fameuse hybris)... Je ne sais pas si c'est le cas ? Mais globalement y'a-t-il une quelconque considération sur les limitations possibles au désir de connaître ? Ou est-il « impunément » illimité ? Connaître toujours plus n'est-ce pas réduire toujours plus l'incertitude féconde tant en terme de variabilité adaptative que d'enchantement du monde ? La connaissance absolue est-elle totalement souhaitable et nécessairement garante d'une vie heureuse ? Mais d'ailleurs Platon conçoit-il la connaissance absolue possible ? Ou alors le délire doit-il seulement s'entendre dans le sens « génie créateur intuitif ».... mais il me vient alors une autre question c'est : est-ce que Platon entend dire par là, que la raison qui est le mode d'appréhension de la connaissance, n'en est pas totalement le mode exclusif ? Parfois, l'intuition, créative en toutes choses, peut venir en aide à la raison voire l'impulser? Alors la boucle est bouclée, si je puis dire, et ces considérations sur l'intuitif me font revenir à la question initiale sur la connaissance du beau de manière innée par le corps : l'intuition répond-elle de cette attirance naturelle du corps vers le beau par connaissance innée de celui-ci? En vous remerciant!!
2 года назад
@@emiliengauthier6751 Merci pour ces nouvelles questions, toujours très pertinentes. Le rapport âme-corps a évolué dans l'oeuvre de Platon. Dans les ouvrages de maturité, dont font partie le Phèdre et le Banquet, il est très marqué par la séparation et l'existence éternelle de l'âme lorsqu'elle parvient à se libérer de l'incarnation. Mais la séparation pose de gros problèmes, notamment pour rendre compte de la perception; c'est ce qui motive un premier approfondissement du fonctionnement de la connaissance sensible dans le Théétète. Dans le Timée, oeuvre de la fin de sa vie, l'âme est responsable de tous les mouvements de la matière, y compris donc des mouvements physiologiques du corps (sa "mécanique inconsciente"). Cependant, je ne vois pas ce que vous voulez dire par le fait que le Beau pourrait habiter ces mouvements. Par ailleurs, s'ils sont inconscients, comment peut-on dire qu'il y en a une intelligence? A moins que ces termes soient utilisés d'une manière métaphorique? Mais pour exprimer quoi au juste? Concernant le désir de connaissance, pourvu qu'il n'ait pas d'autre but caché, il n'est pas susceptible d'hubris et ne doit pas être limité, car il est absolument inoffensif. La connaissance des Idées n'empêche pas un certain enchantement du monde sensible puisque celui-ci, dans sa diversité singulière infinie et perçue seulement par les sens, échappe à la connaissance proprement dite et reste capable d'enchantement esthétique. Par ailleurs, il reste du mystère autour de tout ce qui est divin, quoique sur ce point aussi Platon semble avoir évolué, depuis un dialogue de jeunesse comme l'Ion, où le délire créateur est décrit comme un don et une possession divine, jusqu'aux oeuvres tardives où la divinité est totalement rationalisée et n'est peut-être plus qu'un nom pour le "principe du meilleur". De ce fait, Platon semble bien avoir estimé qu'il n'y a pas d'impossibilité de principe à connaître conceptuellement le tout de l'être (mais bien sûr pas chaque détail singulier: la science est seulement de l'universel). La remontée au principe premier demande une méthode adaptée mais elle est possible. Enfin, il me semble que vous parlez de l'intuition au sens courant du terme, c'est-à-dire d'une impression ou d'une opinion spontanée, dont on ne sait comment on se l'est forgée. Si l'on veut être rigoureux, on doit la ramener justement à ce qui l'a constituée, par exemple des perceptions subliminales, des associations d'idées non volontaires, le travail souterrain de la mémoire, etc. Le corps en est un élément nécessaire en tant que condition de toute perception sensible, mais, si l'on distingue le corps de l'âme (ou, pour nous, de la conscience), toute perception a aussi besoin de l'âme ou de la conscience, et il en va de même pour toute appréhension de ce qui est beau. Donc, concevoir un beau qui soit uniquement corporel et inné... je ne vois pas... J'espère que mes réponses ne sont pas trop schématiques, car il y aurait tellement à dire! Bien cordialement à vous!
Merci Annick pour cette riche réponse. Je comprends que chez Platon, le Beau n'est appréhendable que de façon consciente, par l'esprit. Il n'intègre pas une dimension aussi large que j'aurai pu lui supposer et ce qui m'aurait permis de mieux concevoir l'importance que tient cette idée du Beau, au fondement du désir de connaître. Pour mieux préciser toutefois l'hypothèse qui s'esquissait dans ma question, je voulais parler, en terme d' « intelligence non consciente du corps », des mécanismes adaptatifs et évolutifs du corps qui sont totalement autonomes de la pensée, de la réflexion, comme par exemple la digestion comme transformation des aliments en énergie, la reproduction comme capacité à fabriquer un nouvel organisme vivant, mais encore le système immunitaire capable tout seul de défendre le corps d'agressions pathogènes, la circulation sanguine, la régénération cellulaire, la respiration, etc, etc. Ce sont bien les mécanismes physiologiques comme vous dites. En quoi ils seraient « habités » par le Beau ? En faite, la question se pose du pourquoi ils existent, sous cette forme et pas une autre, ce vers quoi ils tendent, qu'est-ce qui les anime et les guide ? Aujourd'hui on rend compte de l'évolution et de l'adaptation des espèces par certains facteurs que sont, entre autres, la sélection naturelle et la dérive génétique. Ca explique mais ça ne rend pas compte du pourquoi ? Je me disais que peut-être ici Platon élaborait un certain pourquoi en construisant cet élan de l'âme vers le Beau si tant est que l'âme intègre aussi ces mécanismes physiologiques.... Toutes les espèces et pas seulement l'Homme serait concernées. Les mécanismes physiologiques du vivant seraient appréhendés comme intégrant le beau de par la prodigieuse et parfaite adaptation au monde qu'ils expriment. Le beau serait ici « l'expression de l'adaptation harmonieuse du vivant ». Aujourd'hui on pourrait concevoir cela sous la forme « c'est beau parce que c'est adapté, parce que c'est en accord avec un certain ordre naturel des choses. » Voilà pour une meilleure précision de ma question/suggestion précédente... Et dans ce sens, l'amour du beau qui conduit l'âme à connaître, serait en nous, inconscient.. Et raisonner serait un mécanisme physiologique dont l'impulsion (amour du Beau) est plus profonde qu'on ne pourrait la concevoir ? Bon finalement je crois avoir été cherché un peu loin. En tout cas merci pour votre réponse Annick, car au moins les choses sont claires et je discerne mieux à présent ce que contient la notion d'âme (du moins chez le Platon d'avant le Timée) et la manière plus « prosaïque » dont il faut entendre l'impulsion du beau dans l'usage de la raison... Merci milles fois pour vos réponses,... Au plaisir !
Bonjour Annick, bonjour tout le monde! J’ai une question.. Vous vous assurez à de nombreuses reprises de dire qu’il est important de garder en tete que le monde des idées, l’elevation de l’ame sont bien des metaphores et qu’il ne faut pas imaginer un monde au dessus des etoiles où residerait la verité.... vous dites aussi que lorsque Platon parle d’ame, il parle en fait de « caractere », de personnalité et non pas de l’âme au sens spirituelle. Or Platon parle de l’immortalité de l’âme. Si nous suivons une lecture rationnaliste de Platon (tout est metaphore, pas de spirituel...) alors que veut-il dire par « immortalité de l’âme »? Je vous remercie!
3 года назад+3
Bonjour Julia. Plus précisément, je dis que le mot "monde" est une métaphore parce que les idées, étant incorporelles, ne se situent pas quelque part où elles formeraient un autre monde redoublant celui-ci. Par suite, la montée de l'âme vers les idées comme sur un char est évidemment une métaphore qui représente le cheminement de la pensée. Cependant, les idées existent indépendamment de la pensée et des humains, mais sous une forme qu'il ne faut pas se représenter à l'aide des catégories du sensible (y compris l'espace, le temps, etc.). Concernant l'âme, je veux dire qu'elle désigne l'ensemble des activités intellectuelles, émotionnelles, mémorisées, bref ce que nous appelons aussi couramment "l'esprit" par opposition au corps, y compris lorsque nous les estimons inséparables. Et c'est cet ensemble qui, selon Platon, est immortel et peut exister sans le corps. Elle est donc aussi un autre type de réalité, qui échappe aux catégories du sensible. Ce n'est pas une lecture rationaliste, car il n'y a aucun argument rationnel qui soutienne cette conception de l'immortalité. Mais est-ce une conception "spirituelle"? Si cela veut dire que l'âme est une sorte d'esprit qui peut exister sans le corps, alors oui; si cela veut dire qu'elle est en rapport ou dépend d'un Esprit supérieur, alors non... Bien cordialement à vous!
Université Populaire de Marseille Oh merci pour votre réponse! C’est tres clair, je comprends mieux. J’apprécie énormément votre enseignement et votre pédagogie. Je passe à la séance 3! Un grand merci
Une magnifique leçon sur Platon où Annick Stevens donne toute la mesure de sa compréhension du philosophe grec. Peut être ajouter à cette leçon de platonisme que dans le fond l’amour c’est ce qu’on n’a pas,ce qu’on n’est pas,ce dont on manque…une réminiscence,comme dirait Platon. Merci,Annick.
Un talent pédagogique et une simplicité exceptionnels ! Un régal que de vous écouter . Beaucoup de profs devraient s'inspirer de votre enseignement . Merci
Bonjour Annick, et, malgré ce contexte politique légèrement glaçant, meilleurs vœux de bonheur à vous pour cette nouvelle année!!! Profitons que nous ayons toujours le droit de nous réjouir!!!
Si je comprends bien, la dialectique est cette méthode de l'accès à la connaissance par investigation, construction et déconstruction de l'objet. Mais, au-delà, son moteur, l'étincelle, l'impulsion qui va mettre en branle cette démarche intellectuelle, c'est une pulsion créatrice suscitée par le beau ou par l'amour. J'imagine que ce n'est pas le moteur exclusif, il doit y avoir d'autres ressorts... ? Ou est-ce que Platon tend à vouloir affirmer (à travers le Phèdre et le Banquet) que derrière toutes les motivations conscientes vers l'accès à la connaissance, il réside toujours derrière une inspiration guidée par le beau (« le beau » se rapprochant alors de « le bon »?) ?
Egalement, peut-on dire après cela, que cette idée d'inspiration qui pousse vers la connaissance, donne une dimension quelque peu spirituelle ou disons « irrationnelle » à l'ontologie de la connaissance, ainsi définie par Platon ?
En vous remerciant
Merci pour vos voeux, et autant de ma part!
Je ne dirais pas que la dialectique est "construction et déconstruction de l'objet" mais plutôt éclaircissement du sens des concepts (par exemple, que signifie exactement "être" ou "juste", et à quelles réalités ces mots conviennent-ils?) et de leurs relations entre eux (par exemple, "être" va-t-il toujours de pair avec "immobile" ou avec "un", etc.).
Vous avez raison de voir une grande importance dans la motivation qui pousse à la recherche de la connaissance: c'est toute la question du "philo-sophein" ("aimer savoir"). Et effectivement le beau, qui en est le moteur, s'étend au delà du domaine esthétique ou moral, jusqu'à la beauté intellectuelle, par exemple la beauté d'un théorème mathématique ou d'une architecture conceptuelle. Du coup, comme vous le dites, la motivation à utiliser la raison ne vient pas de la raison elle-même mais d'un désir, qui apporte un plaisir quand on l'accomplit, et qu'on possède soit par tempérament inné (d'après Platon du moins, qui l'appelle le "naturel philosophe") soit par une éducation qui stimule ce type de désir. Cela rejoint le thème du choix de vie, qui est éthique au sens de la construction de soi. On retombe toujours sur l'importance de l'éducation, et il n'est pas inutile de rappeler que celle-ci est autant donnée par la société tout entière que par le milieu familial et la scolarité.
Mes salutations les plus cordiales!
@ merci merci, comme à chaque fois pour vos réponses claires, généreuses et motivantes!
@ Mme Stevens, finalement à la lecture à votre réponse (merci), ma réflexion s'ouvre sur d'autres choses.... J'ai aussi bien envie de solliciter votre lumière encore un peu si vous le voulez bien ! Ca fait un petit pavé de questions, je comprendrais ne vous inquiétez pas si vous n'avez pas la possibilité d'y répondre.
« Ce désir de la connaissance qui apporte un plaisir quand on l'accomplit », quel pourrait être son « statut ontologique » ? Ok, son origine est mélangée, il vient pour partie de dispositions naturelles (expliquées donc par le passif des âmes), et pour partie il est acquis par l'éducation qui doit inculquer une certaine éthique. Ok, il est impulsé au fond par l'amour du Beau que je comprend ici sous la forme d'un invariant anthropologique. Mais de quelle entité, de quelle profondeur émane ce désir ? J'imagine que c'est l'âme. Mais alors c'est là que je m'interroge sur ce que contient la notion d'âme chez Platon ? N'est-elle, chez lui, que cette part consciente en nous ? Ou intègre-t-elle l'intelligence inconsciente de notre corps ? La mécanique autonome de notre corps, façonnée par une histoire évolutive et adaptative, qui échappe complètement à l'emprise du contrôle cérébral, Platon la conçoit-elle elle-même comme partie intégrante de l'âme, capable de saisir le Beau indépendamment de la raison? Notre corps, dans son intelligence propre, est-il en mouvement vers le Beau, voire est-il habité par le Beau ?... Ou le concept du Beau n'est-il saisissable que par l'intelligence de la raison ? In fine, y'a-t-il un fondement biologique chez l'homme à utiliser la raison ?
Autre question, la figuration du délire créateur comme exaltation suprême de l'amour du Beau... Sans que ce soit formulé ainsi, n'y a-t-il pas là un aveu de modération nécessaire au désir de connaître ou à l'élevation des âmes ? Pour que ce soit le cas, bien sûr, il faudrait que « délire » s'entende, chez Platon, comme propre à une certaine « démesure » (la fameuse hybris)... Je ne sais pas si c'est le cas ? Mais globalement y'a-t-il une quelconque considération sur les limitations possibles au désir de connaître ? Ou est-il « impunément » illimité ? Connaître toujours plus n'est-ce pas réduire toujours plus l'incertitude féconde tant en terme de variabilité adaptative que d'enchantement du monde ? La connaissance absolue est-elle totalement souhaitable et nécessairement garante d'une vie heureuse ? Mais d'ailleurs Platon conçoit-il la connaissance absolue possible ?
Ou alors le délire doit-il seulement s'entendre dans le sens « génie créateur intuitif ».... mais il me vient alors une autre question c'est : est-ce que Platon entend dire par là, que la raison qui est le mode d'appréhension de la connaissance, n'en est pas totalement le mode exclusif ? Parfois, l'intuition, créative en toutes choses, peut venir en aide à la raison voire l'impulser? Alors la boucle est bouclée, si je puis dire, et ces considérations sur l'intuitif me font revenir à la question initiale sur la connaissance du beau de manière innée par le corps : l'intuition répond-elle de cette attirance naturelle du corps vers le beau par connaissance innée de celui-ci?
En vous remerciant!!
@@emiliengauthier6751 Merci pour ces nouvelles questions, toujours très pertinentes.
Le rapport âme-corps a évolué dans l'oeuvre de Platon. Dans les ouvrages de maturité, dont font partie le Phèdre et le Banquet, il est très marqué par la séparation et l'existence éternelle de l'âme lorsqu'elle parvient à se libérer de l'incarnation. Mais la séparation pose de gros problèmes, notamment pour rendre compte de la perception; c'est ce qui motive un premier approfondissement du fonctionnement de la connaissance sensible dans le Théétète. Dans le Timée, oeuvre de la fin de sa vie, l'âme est responsable de tous les mouvements de la matière, y compris donc des mouvements physiologiques du corps (sa "mécanique inconsciente"). Cependant, je ne vois pas ce que vous voulez dire par le fait que le Beau pourrait habiter ces mouvements. Par ailleurs, s'ils sont inconscients, comment peut-on dire qu'il y en a une intelligence? A moins que ces termes soient utilisés d'une manière métaphorique? Mais pour exprimer quoi au juste?
Concernant le désir de connaissance, pourvu qu'il n'ait pas d'autre but caché, il n'est pas susceptible d'hubris et ne doit pas être limité, car il est absolument inoffensif. La connaissance des Idées n'empêche pas un certain enchantement du monde sensible puisque celui-ci, dans sa diversité singulière infinie et perçue seulement par les sens, échappe à la connaissance proprement dite et reste capable d'enchantement esthétique. Par ailleurs, il reste du mystère autour de tout ce qui est divin, quoique sur ce point aussi Platon semble avoir évolué, depuis un dialogue de jeunesse comme l'Ion, où le délire créateur est décrit comme un don et une possession divine, jusqu'aux oeuvres tardives où la divinité est totalement rationalisée et n'est peut-être plus qu'un nom pour le "principe du meilleur". De ce fait, Platon semble bien avoir estimé qu'il n'y a pas d'impossibilité de principe à connaître conceptuellement le tout de l'être (mais bien sûr pas chaque détail singulier: la science est seulement de l'universel). La remontée au principe premier demande une méthode adaptée mais elle est possible.
Enfin, il me semble que vous parlez de l'intuition au sens courant du terme, c'est-à-dire d'une impression ou d'une opinion spontanée, dont on ne sait comment on se l'est forgée. Si l'on veut être rigoureux, on doit la ramener justement à ce qui l'a constituée, par exemple des perceptions subliminales, des associations d'idées non volontaires, le travail souterrain de la mémoire, etc. Le corps en est un élément nécessaire en tant que condition de toute perception sensible, mais, si l'on distingue le corps de l'âme (ou, pour nous, de la conscience), toute perception a aussi besoin de l'âme ou de la conscience, et il en va de même pour toute appréhension de ce qui est beau. Donc, concevoir un beau qui soit uniquement corporel et inné... je ne vois pas...
J'espère que mes réponses ne sont pas trop schématiques, car il y aurait tellement à dire!
Bien cordialement à vous!
Merci Annick pour cette riche réponse. Je comprends que chez Platon, le Beau n'est appréhendable que de façon consciente, par l'esprit. Il n'intègre pas une dimension aussi large que j'aurai pu lui supposer et ce qui m'aurait permis de mieux concevoir l'importance que tient cette idée du Beau, au fondement du désir de connaître.
Pour mieux préciser toutefois l'hypothèse qui s'esquissait dans ma question, je voulais parler, en terme d' « intelligence non consciente du corps », des mécanismes adaptatifs et évolutifs du corps qui sont totalement autonomes de la pensée, de la réflexion, comme par exemple la digestion comme transformation des aliments en énergie, la reproduction comme capacité à fabriquer un nouvel organisme vivant, mais encore le système immunitaire capable tout seul de défendre le corps d'agressions pathogènes, la circulation sanguine, la régénération cellulaire, la respiration, etc, etc. Ce sont bien les mécanismes physiologiques comme vous dites. En quoi ils seraient « habités » par le Beau ? En faite, la question se pose du pourquoi ils existent, sous cette forme et pas une autre, ce vers quoi ils tendent, qu'est-ce qui les anime et les guide ? Aujourd'hui on rend compte de l'évolution et de l'adaptation des espèces par certains facteurs que sont, entre autres, la sélection naturelle et la dérive génétique. Ca explique mais ça ne rend pas compte du pourquoi ? Je me disais que peut-être ici Platon élaborait un certain pourquoi en construisant cet élan de l'âme vers le Beau si tant est que l'âme intègre aussi ces mécanismes physiologiques.... Toutes les espèces et pas seulement l'Homme serait concernées. Les mécanismes physiologiques du vivant seraient appréhendés comme intégrant le beau de par la prodigieuse et parfaite adaptation au monde qu'ils expriment. Le beau serait ici « l'expression de l'adaptation harmonieuse du vivant ». Aujourd'hui on pourrait concevoir cela sous la forme « c'est beau parce que c'est adapté, parce que c'est en accord avec un certain ordre naturel des choses. » Voilà pour une meilleure précision de ma question/suggestion précédente... Et dans ce sens, l'amour du beau qui conduit l'âme à connaître, serait en nous, inconscient.. Et raisonner serait un mécanisme physiologique dont l'impulsion (amour du Beau) est plus profonde qu'on ne pourrait la concevoir ? Bon finalement je crois avoir été cherché un peu loin. En tout cas merci pour votre réponse Annick, car au moins les choses sont claires et je discerne mieux à présent ce que contient la notion d'âme (du moins chez le Platon d'avant le Timée) et la manière plus « prosaïque » dont il faut entendre l'impulsion du beau dans l'usage de la raison... Merci milles fois pour vos réponses,... Au plaisir !
Merci beaucoup madame
Bonjour Annick, bonjour tout le monde!
J’ai une question..
Vous vous assurez à de nombreuses reprises de dire qu’il est important de garder en tete que le monde des idées, l’elevation de l’ame sont bien des metaphores et qu’il ne faut pas imaginer un monde au dessus des etoiles où residerait la verité.... vous dites aussi que lorsque Platon parle d’ame, il parle en fait de « caractere », de personnalité et non pas de l’âme au sens spirituelle.
Or Platon parle de l’immortalité de l’âme. Si nous suivons une lecture rationnaliste de Platon (tout est metaphore, pas de spirituel...) alors que veut-il dire par « immortalité de l’âme »?
Je vous remercie!
Bonjour Julia. Plus précisément, je dis que le mot "monde" est une métaphore parce que les idées, étant incorporelles, ne se situent pas quelque part où elles formeraient un autre monde redoublant celui-ci. Par suite, la montée de l'âme vers les idées comme sur un char est évidemment une métaphore qui représente le cheminement de la pensée. Cependant, les idées existent indépendamment de la pensée et des humains, mais sous une forme qu'il ne faut pas se représenter à l'aide des catégories du sensible (y compris l'espace, le temps, etc.). Concernant l'âme, je veux dire qu'elle désigne l'ensemble des activités intellectuelles, émotionnelles, mémorisées, bref ce que nous appelons aussi couramment "l'esprit" par opposition au corps, y compris lorsque nous les estimons inséparables. Et c'est cet ensemble qui, selon Platon, est immortel et peut exister sans le corps. Elle est donc aussi un autre type de réalité, qui échappe aux catégories du sensible. Ce n'est pas une lecture rationaliste, car il n'y a aucun argument rationnel qui soutienne cette conception de l'immortalité. Mais est-ce une conception "spirituelle"? Si cela veut dire que l'âme est une sorte d'esprit qui peut exister sans le corps, alors oui; si cela veut dire qu'elle est en rapport ou dépend d'un Esprit supérieur, alors non... Bien cordialement à vous!
Université Populaire de Marseille Oh merci pour votre réponse! C’est tres clair, je comprends mieux. J’apprécie énormément votre enseignement et votre pédagogie. Je passe à la séance 3!
Un grand merci
Bonjour, in fine , comment pourrait-on définir l'éthique chez Platon ?
Merci.
Merci
29:00 Le Banquet
Géniale...
soirée belge ... à OK Coral
merci